Gestion des aléas
Parades de fiabilité

Gestion des aléas : quelle place pour le facteur humain ?

La gestion des aléas humain au travail est un classique de la prévention des risques professionnels. Il est toutefois intéressant d’analyser le volet du facteur humain dans la détection des imprévus. Car il diffère significativement des autres catégories d’aléas. Cet article fait suite à un constat réalisé à l’occasion d’un accompagnement en entreprise lors d’une semaine dédiée à la sécurité au travail.

Après avoir resitué la place des aléas dans la construction de la performance en sécurité, nous étudierons de quelle manière les imprévus liés à l’humain sont détectés et traités de manière individuelle et collective.

LE LOT QUOTIDIEN DES IMPRÉVUS

La construction d’une situation de travail sécurisée s’effectue en associant une préparation attentive des taches (sécurité réglée) avec une phase d’exécution réalisée du mieux possible (sécurité gérée).

Ce serait une grossière erreur de considérer que la phase de préparation n’est pas strictement indispensable pour prévenir les risques. Il existe toutefois un juste équilibre à trouver entre la sécurité ultra réglée (cas du nucléaire) et la sécurité ultra gérée (course au large) selon la nature de l’activité de l’entreprise. Il se peut aussi que se soit les mêmes personnes qui préparent et exécutent ce qui n’est pas rédhibitoire pour travailler en sécurité.

Les deux composantes s’enrichissent mutuellement avec des méthodes rompues comme le briefing de poste ou la prise en compte du retour d’expérience en fin de séance ou issu d’autres sites. Les organisations dotées d’une forte culture de sécurité possèdent des outils adaptés (planchettes, tableaux magnétiques, heure et lieu d’échange définis). Ces pratiques subissent elles aussi des imprévus dont il faut être conscient (ex : absence de débriefing car le manager est en arrêt, aléas humain).

Tâches conformes aux règles

En phase de préparation il convient de s’assurer que la tâche sera réalisée conformément aux règles en vigueur. Les cas non conformes susceptibles de se produire peuvent être analysés en ayant connaissance des limites à ne pas franchir (détail des marges de sécurité, justification de certaines règles, rappel de retours d’expérience). L’imprévu en phase de préparation pose la difficile question de la tenue des délais de travaux. Il est parfois possible de consacrer davantage de temps en phase préparatoire mais ce temps supplémentaire expose inévitablement à d’autres aléas humain.

Par exemple un coulage de béton a dû être retardé en raison d’une erreur sur l’indiçage des plans de référence. Cet aléa nécessite de revoir la procédure or les équipes compétentes pour la centrale à béton prévues à la date initiale ne seront plus disponibles dans quelques jours.

En phase d’exécution, c’est l’intelligence individuelle et collective et le professionnalisme des acteurs qui sont susceptibles de résoudre en sécurité les problèmes inattendus. En s’appuyant sur une solide culture de maitrise des risques les opérateurs vont détecter les aléas et réagir de façon appropriée. Ils vont s’arrêter pour réfléchir, alerter le cas échéant et décider d’une solution au risque maitrisé. Le STOP de l’activité peut être parfois la seule réponse à court terme pour éviter une situation dangereuse. Face à l’aléa, l’expérience humaine associée à des marges de manœuvre suffisantes est un puissant facteur de performance.

UN CONSTAT SURPRENANT

A l’occasion de l’accompagnement en prévention des risques d’un chantier, nous avons pu prendre conscience qu’une partie des aléas n’était pas détectée.

La thématique de la semaine de la sécurité consistait à réfléchir collectivement sur la gestion des aléas. Les équipes avaient recensé environ une dizaine d’évènements imprévus survenus au cours de la semaine. Elles avaient élaboré un classement selon deux catégories : prévisible/non prévisible, relevant d’un tiers ou généré en interne. Notre approche FOH (Facteurs Organisationnels et Humains) a consisté à apporter un classement supplémentaire en 4 domaines : Technique, organisationnel, environnemental et humain.

A notre grande surprise la catégorie des aléas humains était vide. Rien n’avait été détecté ce qui statistiquement est très peu probable. En effet les imprévus « physiques » (outil en panne, coactivité non prévue, éclairage absent) sont aisément recensés. En revanche les évènements liés à l’humain sont par habitude peu pris en compte dans la performance en sécurité. Ils sont non considérés comme des aléas au même titre que les autres imprévus car plus subjectifs.

Mais de quoi parle t’on au juste ?

Le volet des aléas humain couvre un large panorama. Il prend ses sources à la fois dans le domaine professionnel et privé. Exemples

  • Absence d’un collaborateur ;
  • fatigue physique (manque de sommeil, maladie, alcool, stupéfiants) ;
  • fatigue mentale (stress, angoisse, charge de travail, insécurité de l’emploi) ;
  • qualification ou expérience insuffisante pour le travail demandé ;
  • incompatibilité de caractère au sein d’une même équipe, erreur humaine.

Lors de la séance de clôture de cette semaine de la sécurité, nous avons interrogé les compagnons. Il s’agissait de comprendre pourquoi rien n’avait été comptabilisé dans le volet humain.

Un témoignage intéressant a été de dire que l’on ne mélange pas les problèmes de la maison avec le chantier. Ce témoignage nous livre une première partie de la réponse. La peur du jugement et/ou de la sanction conduit à dissimuler les aléas susceptibles d’engager la sécurité sur le lieu de travail. Prenons deux exemples : Christophe est en difficulté avec sa banque. Il attend plusieurs coups de fil importants durant la journée, toutefois l’usage du téléphone portable est interdit sur le chantier.

Problèmes de la maison avec le chantier

Michel est en instance de divorce et la procédure se déroule de mauvaise manière. Cela fait plusieurs nuits qu’il ne dort pas bien et a consommé quelques verres d’alcool pour l’aider à passer le cap. Michel doit réaliser des travaux en hauteur aujourd’hui nécessitant le port du harnais.

Dans la majorité des cas, il n’est pas sûr que les autres collaborateurs aient détecté les difficultés de Christophe et Michel. Et si c’est le cas, le travail ne sera pas suspendu pour autant.

Une seconde partie de la réponse réside dans le manque d’approfondissement des cas rencontrés. Un compagnon relate le fait que le talkie qu’il avait l’obligation d’utiliser dans sa zone de travail s’est déchargé. Il ne s’en est rendu compte qu’au retour au magasin quand on lui a appris qu’il avait été impossible de le joindre. Les batteries étaient déchargées. L’arbre des causes révèle en réalité que lors de la séance précédente le talkie a mal été positionné sur la base. Il ne s’est pas rechargé transformant ainsi un aléa technique en aléa humain.

Quelles solutions apporter face à la difficulté de l’encadrement de terrain pour détecter, analyser et traiter ces aléas ?

CHANGER SA VISION

Face à des imprévus humains évidents ou parfois plus subjectifs, il convient en premier lieu de modifier son angle d’observation. Pour cela il est nécessaire de poser les bases d’une relation de Confiance dans le collectif (Culture de la Transparence). Une récente expérience sur le terrain nous a montré qu’un collaborateur n’a pas hésité à déclarer qu’il s’était couché à 5h du matin en rentrant de discothèque. Dans ce collectif la parole est libérée ce qui permet à celui qui est à l’écoute de détecter et réagir face à cet aléa.

Il existe ensuite des clés pour aider les équipes de production à réagir du mieux possible face aux imprévus. Le briefing de poste, le Pré Start, la discussion autour de la machine à café le matin, la réunion debout constituent le premier outil à la disposition de l’encadrement de proximité. Ce temps d’échange indispensable avant la séance de travail n’est pas un exercice facile. Ainsi il est important de se faire former par des professionnels.

Une autre clé de sécurité en faveur de la détection des aléas humains réside dans la vigilance partagée du collectif de travail (Culture interrogative). Souvent évoquée mais sans réelle application sur le terrain, nous constatons que la vigilance partagée est étroitement liée à des comportements proactifs en sécurité. Dès la sortie du vestiaire les collaborateurs jettent un coup d’œil au collègue pour s’assurer qu’il porte bien ses EPI et l’alertent s’il a oublié quelque chose.

Correctement utilisées, ces deux clés (brief de poste et vigilance partagée) sont de nature à contrer les erreurs humaines qui vont inévitablement survenir durant la séance de travail.

En synthèse, un levier de progrès pour une culture de sécurité performante consiste à expliquer aux collaborateurs pourquoi il est difficile de percevoir les aléas liés au facteur humain. La mise en situation, la pratique de cas concrets et la diffusion de clips pédagogiques sont des solutions pour progresser dans ce domaine.

Voir également nos articles Une parade de fiabilité oubliée ! et Savoir dire STOP au nom de la culture de sécurité !

Mon expérience d'ingénieur prévention à bord des sous-marins puis du porte-avions Charles de Gaulle m'a inculqué une méthode de gestion des risques. J'ai complété ce parcours avec 8 années dans l'industrie navale avant de créer mon propre organisme de formation.

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *