La culture de la prévention des accidents de travail et des risques professionnels est ballotée par l’actualité de ce début d’année. Le climat social crispé ainsi que l’envolée des coûts de l’énergie et par conséquent des coûts de production, ne militent pas en faveur d’investissements dans une politique santé-sécurité ambitieuse.
Il s’agit ainsi d’analyser de quelle manière la réduction des accidents liés au travail pourrait retrouver sa place dans la performance globale de l’entreprise.
La mutation du travail
Evoquer aujourd’hui la prévention des risques professionnels et un objectif « Zéro accident » nécessite au préalable de revenir sur la notion de travail à la lumière du traumatisme vécu lors de la pandémie COVID19.
Denis Maillard (expert de la fondation Jean-Jaurès) signe un article début mars sur la réforme du travail dans le magazine Le Point. Une demande de travailler autrement dont des passages sont repris ci-après.
La période de pandémie a joué le rôle de catalyseur de toute une série de constats, d’aspirations d’interrogations jusqu’alors en gestation.
La population qui a basculé sous l’impulsion forcée de la pandémie vers le télétravail, s’est peu à peu installée dans un schéma qui impose de repenser l’organisation du travail. Cette libération de l’unité de temps, de lieu et d’action implique des effets majeurs sur l’autre monde du « back office ». Imaginons une balance dont les plateaux seraient en déséquilibre : d’un côté le plateau s’allège des contraintes du présentiel pour basculer vers un mode de vie où l’on s’organise comme on le souhaite, de l’autre une pression accrue sur les travailleurs du serviciel avec des efforts sur les disponibilités et les délais (acheminement, accès aux soins…). L’offre abondante doit être disponible dans les plus brefs délais, c’est la culture du tout-tout de suite.
Les chiffres indiquent que l’accidentologie touche majoritairement le monde du back office de la société, celui qui compose l’infrastructure économiquement indispensable pour un autre monde jouissant d’une plus grande autonomie.
Contrairement aux deux mondes précédents qui ont pu poursuivre leur activité durant le confinement, il existe une troisième famille regroupant une partie de l’industrie ou des métiers classés non essentiels. Cette troisième catégorie est frappée de plein fouet aujourd’hui par une quête de sens de plus en plus forte (source de risques professionnels) et peine à recruter. Fin 2020, 94% des cadres jugeaient important d’exercer un métier qui a du sens.
Cette fragmentation du travail pose le problème de perte de confiance dans les activités professionnelles alors qu’elle constitue une pierre d’angle de la qualité de vie au travail.
Il manquait alors un diagnostic d’ensemble sur l’état du travail. Sous l’égide du conseil national de la refondation, les assises du travail présidées par Mme Thiéry avec la participation de M. Senard (président du groupe Renault) apportent les premières réponses dans le rapport d’avril 2023.
Un nouvel élan
La fondation sur laquelle la culture de prévention s’appuie est constituée par l’action quotidienne et inlassable des managers sur le terrain. Or dans de nombreux cas, la fonction managériale est octroyée par l’ancienneté dans le poste inférieur ou dans l’entreprise et rarement accompagnée d’une formation au métier de manager. La méthode très descendante employée est souvent copiée sur celle observée dans les étages supérieurs : je prescris, tu exécutes, méthode dont on perçoit aujourd’hui les limites. Cette population doit être aujourd’hui accompagnée et formée pour répondre aux enjeux de la prévention des risques dans l’entreprise.
Le collectif de travail n’est pas épargné par le nouvel élan induit par la loi santé au travail de 2021. Qui est le mieux placé pour proposer des solutions destinées à prévenir les risques ? Qui est en mesure de proposer des solutions pour passer d’une logique de réparation à une logique de prévention en santé sécurité au travail ? Ce sont les ouvriers, techniciens, compagnons qui au quotidien s’emploient à faire « du mieux qu’ils peuvent » face aux aléas. En revanche il est difficile de s’exprimer quand les managers ne sont pas sur le terrain et que des règles d’écoute et de dialogue ne sont prévues. Prenons l’exemple du changement climatique et de ses conséquences sur certains corps de métier (travail en extérieur…) : les solutions efficientes et applicables ne peuvent pas venir que de la direction.
L’idée est de restaurer la confiance afin de responsabiliser tous les niveaux de l’entreprise y compris la strate ouvrière. On agit ainsi sur les leviers des facteurs humains qui conduisent à des situations de travail sécurisées. Les efforts quotidiens en faveur de la santé physique et mentale permettent non seulement de prendre soin des travailleurs mais également de réaliser un travail de qualité, dans les délais et d’augmenter ainsi la performance globale (résultat et notoriété de l’entreprise).
Restaurer la confiance
Les assises du travail déclinent un premier axe de progrès autour de la formation continue des managers et la dimension sociale de la démarche RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Ce dernier volet a malheureusement été occulté par les enjeux plus médiatiques de développement durable et de protection de l’environnement.
La dimension sociale doit retrouver pleinement sa place dans la démarche RSE.
Le dialogue social en milieu professionnel contribue à la prévention des risques. L’impulsion est donnée par l’organisation et le management sur la base de la culture de l’entreprise ou à l’aide d’outils dispensés en formations cadres.
Une des erreurs commises jusqu’à présent a été de considérer les dangers au travail uniquement a travers d’une vision objective de ce qui pourrait nous faire mal : outil, matériel de l’environnement de travail…). Une infime part de la tache s’est intéressée au volet subjectif des dangers (organisation, conjoncture, relationnel). Pire encore on entend souvent dire : il n’a qu’à faire plus d’effort, il doit mieux s’organiser, il ne pense qu’à sa prochaine promotion. On renvoie ici le danger psychosocial au travailleur sans en traiter les origines pour le supprimer. Voici pourquoi les risques psychosociaux (RPS) tiennent malheureusement le devant de la scène. 14% des salariés qui ont connu un changement organisationnel important signalent plus souvent un syndrome dépressif du au fait qu’ils n’ont pas été consultés.
Plus récemment, des risques de santé mentale sont remontés également par les télétravailleurs peut être dus à des encadrants attachés à l’ancienne école bien Française du présentéisme. Ces symptômes sont liés à l’intensité du travail, l’accroissement de la durée du travail, des objectifs chiffrés non adaptés…. Etonnant lorsque l’on sait que la base du télétravail est le pacte de confiance entre le travailleur et son chef. Le travail hybride fait partie à présent du paysage du travail et doit enfin nous faire basculer vers un management de la confiance fondé sur le droit à l’erreur. Fondamentalement notre cerveau fonctionne selon un mode essais-erreurs, autant l’accepter.
Les axes forts de la formation à dispenser couvrent les domaines de l’erreur au travail, l’identification des situations à risques et des signaux faibles, prévenir le stress, savoir animer un collectif de travail de manière à permettre à chacun de bien réaliser son travail.
Santé sécurité : un enjeu de performance
Les accidents graves et mortels ne diminuent plus en France depuis les années 2000 et nous figurons parmi les plus mauvais élèves Européens. Le livre de M. Lépine « L’hécatombe invisible » apporte une comptabilité plus proche de la réalité que celle diffusée par les statistiques nationales officielles.
Un changement de culture est urgent. Dans la continuité de la notion de prévention primaire, l’idée émerge d’ajouter un 10ème principe général de prévention au code du travail fondé sur l’écoute des travailleurs du terrain. Le vœu est pieux mais lorsque l’on sait que 38% des TPE possèdent un document unique d’évaluation (pourtant obligatoire) actualisé au cours des 12 derniers mois, mieux vaut rester pragmatique.
Les catégories socioprofessionnelles les plus atteintes sont identifiées : hommes, ouvriers, BTP, médicosocial, intérim, travailleurs de moins de 25 ans… C’est vers eux qu’il faut concentrer les premiers efforts notamment au travers de parcours d’accompagnement en situation de travail.
Le levier de la formation pour changer les manières de penser est une action concrète pour développer une culture de prévention partagée. La mesure des facteurs psychosociaux de risques, la formation à la prévention du stress sont des idées nouvelles de sensibilisation à développer dans les entreprises au cours de semaines de la sécurité ou des séminaires.
Réalisé en moins d’un semestre, les assises du travail livrent une synthèse pertinente et lucide des leviers de progrès pour reconsidérer le travail et tendre vers une meilleure culture de la prévention des risques. Ce changement de culture par étapes et dans un esprit de consensus est une lame de fond qui peut nous faire gagner la bataille du bien-être au travail.
Voir également nos articles Une parade de fiabilité oubliée ! et Savoir dire STOP au nom de la culture de sécurité !