La période de la pandémie COVID 19 a sonné la fin de l’organisation traditionnelle du travail dans notre pays. Véritable électrochoc dans le secteur privé et public, notre vision du travail en ce 21ème siècle s’est subitement brouillée. Nous assistons désormais à la fin de l’unité de temps, de lieu et d’action qui a longtemps accompagné notre quotidien. Je vous livre en premier lieu ma propre expérience, antérieure à la COVID. Cet article s’attache ensuite à mettre en lumière les risques liés au télétravail. Des mesures de prévention élémentaires à destination des collaborateurs concernés et des managers vous sont enfin proposées.
Confiance et télétravail
Je vous livre en premier lieu mon expérience de manager vis-à-vis du télétravail dans mon équipe. Courant 2019, l’un de mes adjoints m’expose sa situation personnelle et notamment l’éloignement entre son lieu de résidence et de travail (150km). Diverses contraintes ne lui permettaient pas de se loger à proximité de l’entreprise. Bien intégré dans la société avec des perspectives d’évolution, Il devait se résoudre à faire le trajet tous les jours, alternant train et trottinette.
Mon collaborateur me demande l’autorisation de profiter de l’accord d’entreprise sur le télétravail qui existait déjà avant la COVID. En tout franchise ma première réaction a été assez « vieille école » en considérant les aspects négatifs. Comment gérer la sous-traitance dont il avait la charge, les réunions de service ? C’est en prenant le temps de l’observer et de mieux le connaître que la confiance s’est construite. Je savais qu’il travaillait durant les temps de transport les jours de présentiel. Il était toujours joignable en télétravail. De ce fait, nous avons étudié ensemble les risques et décidé des modalités d’organisation. Cette expérience m’a fait changer ma vision sur le travail hybride (mi présentiel – mi distanciel).
J’ai pu ainsi observer dès 2019 les enjeux sur le bien-être au travail des collaborateurs que les études rapportent aujourd’hui.
Un véritable progrès social
Acquis sans lutte sociale au terme d’un effort national pour endiguer la pandémie, le télétravail ouvre pour un tiers des travailleurs Français, de nouvelles perspectives.
En premier lieu, la suppression du volet routier, source de stress matin et soir avec la densification du trafic est un gain important. La vie peut être alors réorganisée notamment si l’épouse travaille et que des enfants sont scolarisés.
C’est la dimension sociétale qui est au cœur de la démarche : repenser l’articulation des temps de vie pour un meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle. C’est pourquoi, une Autonomie accrue et la souplesse dans l’organisation de son travail sont des arguments souvent entendus.
Le télétravail devient une norme acceptée et oscille aujourd’hui entre 2 et 3 jours en distanciel par semaine en moyenne.
Le revers de la médaille
Fin 2021, 61% des managers estiment que le travail Hybride est une source de difficultés (APEC ANACT 2022). De quoi s’agit-il ?
En premier lieu les échanges individuels sont plus difficiles et formels. Le lien hiérarchique dans un mode de fonctionnement pyramidale, est fragilisé. Il est désormais extrêmement difficile de contrôler in situ les collaborateurs.
Avec deux tiers des travailleurs qui n’ont pas accès à la possibilité de télétravail, notre société creuse des inégalités préexistantes au sein des équipes. Nous observons dans l’industrie des clivages entre ingénierie/fonctions supports et production. En matière de prévention, le lien entre sécurité Réglée et sécurité Gérée est fragilisé. Les modes d’échanges entre ceux qui préparent et anticipent du mieux possible avec ceux qui exécutent doit être réorganisé pour limiter les risques
Il devient très difficile de faire vivre le collectif de travail. Une salariée témoigne : « on ne parvient plus à rassembler toute l’équipe pour célébrer un anniversaire ! ». La perte de convivialité est flagrante et les visios informelles peinent à remplacer la pause détente entre collègues devant la machine à café.
Le collectif de travail, maillon essentiel de la prévention dans le domaine des facteurs organisationnels et humains (FOH) est fragilisé. Le message à diffuser à l’ensemble des collaborateurs notamment vis-à-vis de la santé sécurité au travail ne possède plus le même impact quand on est plus de la moitié du temps en distanciel. Difficile de se motiver sur les affiches de prévention vis-à-vis des chutes de plain-pied !
Nous prenons progressivement conscience que le principal danger ne se situe pourtant pas à ce niveau-là.
Prévention des risques au télétravail
Le retour d’expérience indique qu’il existe bel et bien des risques autour de la santé mentale des individus en télétravail. Ce sont les dimensions subjectives du travail (organisationnelle, relationnelle, conjoncturelle) qui sont concernées. Nous les connaissons davantage sous le terme des risques psychosociaux (RPS).
Le travailleur fait face à un brouillage des frontières traditionnelles entre sa vie personnelle et professionnelle. Ce constat est renforcé par une intensification du travail, non bridée en raison de l’isolement du salarié. Cet état bien connu des entrepreneurs indépendants n’est pas vécu de la même manière car dans notre cas il faut rendre des comptes à ses chefs.
L’isolement social et professionnel accroit les risques liés à l’organisation du travail. Le télétravail peut engendrer une surcharge ou une sous-charge de travail, une difficulté à gérer son temps, une hyperconnexion aux outils numériques, une perte de repères ou de soutien.
A cela s’ajoute le bricolage d’un poste de travail dans un environnement privé qui le plus souvent n’est pas adapté (bureau dans la chambre, poste de travail sous les toits soumis aux fortes chaleurs). Une mauvaise ergonomie du matériel informatique ou du mobilier peut entraîner des contraintes posturales et des troubles musculosquelettiques (TMS).
D’autres risques sont liés aux postures sédentaires. Le manque d’activité physique et le maintien prolongé de la posture assise peuvent avoir des effets néfastes sur la santé cardiovasculaire, métabolique, mentale ou musculaire.
Prévention et formation
Pour prévenir ces risques et protéger la santé physique et mentale, il est nécessaire de mettre en place des mesures de prévention adaptées. Les leviers des facteurs humains sont impliqués : l’employeur, l’encadrement, le collectif de travail et le salarié.
Le passage à une organisation de travail complètement mixte nécessite une prise de conscience de ce nouveau défi et du besoin d’être accompagné. Pourtant 71% des dirigeants n’ont pas prévu de formation des managers aux pratiques adaptées au travail hybride. Il est illusoire de penser maintenir la performance globale de l’entreprise tout en improvisant une bascule d’une culture du présentéisme à un management par la confiance.
Les pistes proposées concernent les points suivants :
- Prévoir des pauses régulières et pratiquer une activité physique modérée (marche, étirements, exercices…)
- Définir clairement les modalités du télétravail (durée, horaires, objectifs, moyens…) et respecter le droit à la déconnexion formelle
- Maintenir le lien avec les collègues et les managers par des outils de communication adaptés et favoriser le travail en équipe
- Préserver l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée en séparant les espaces de travail et de repos, en informant son entourage de ses contraintes et en respectant ses besoins personnels.
- Le collaborateur ne doit pas être livré à lui-même pour aménager son poste de travail à domicile. Des moyens doivent être donnés pour respecter les principes ergonomiques (écran, clavier, souris, siège, bureau…). Il est aussi important de varier les postures au cours de la journée (passer un coup de fil à la cuisine !).
Ces mesures de prévention reposent sur la confiance des managers et l’autonomie (marge de manœuvre) accordés aux équipes.
Une position d’équilibre au travail
D’autres aspirations évoquent une organisation du travail autour de la semaine de 4 jours à la suite d’expériences réussies. Une entreprise sur trois pourrait être concernée (organisation alternative). La question désormais réside dans la compatibilité entre le télétravail et la semaine de 4 jours. L’enjeu n’est pas d’encadrer le télétravail mais plutôt de redéfinir l’organisation du travail. Posons-nous la question de savoir de quoi est composé notre univers commun après la fin de l’unité de lieu de notre activité professionnelle.
Pour aller plus loin, un article de l’INRS http://www.inrs.fr/risques/teletravail/ce-qu-il-faut-retenir.html
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