
Changement climatique : peut-on encore adapter les situations de travail ?
Le conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu un avis en avril 2023. Le thème porte sur le changement au travail « quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ? ». Cet article reprend les idées majeures de l’avis sur la partie dédiée aux impacts du changement climatique sur la santé au travail.
Un changement dans la vision du travail
Un changement dans l’opinion s’est opéré après la longue période de canicule et de sécheresse de l’été 2022. Un récent sondage CESE 2022/2023 indique que 70% des sondés pensent que la dégradation de l’environnement peut affecter la santé des salariés et des agents. Le bouleversement climatique couplé à la dégradation des écosystèmes ont mis en avant le thème de la santé-environnement. Ce dernier recouvre le changement des techniques employées, l’organisation et les conditions de travail ainsi que la santé physique et mentale des travailleurs.
Le changement climatique impose à présent de réfléchir sur l’exposome qui correspond au cumul de toutes les expositions à des facteurs environnementaux. Outre la température, il faut tenir compte des catastrophes naturelles, de la prolifération des vecteurs de maladie, de la pollution (air, eau, sols) et de la sécheresse.
Le rapport évoque la nécessité de passer d’une logique de gestion de crise à une logique de prévention plus proche de l’esprit de la loi santé au travail de 2021. Il convient donc d’adapter le travail de manière durable et concerté.
Une alerte face au changement climatique
Dans le paragraphe dédié au dialogue social, les auteurs mettent en garde sur l’urgence à « penser le travail autrement ». En effet le collectif se retrouve confronté à des enjeux nouveaux de santé-environnement. Le dialogue social entre les acteurs du monde du travail à l’intérieur d’espaces de discussion est un outil essentiel pour y répondre.
En 2021, 80 accidents NATECH (naturel technologique c’est-à-dire résultant de facteurs naturels telles que les inondations) ont été recensé. La hausse de ces évènements est constante. Par ailleurs une étude ANSES de 2018 indique que les risques professionnels ont augmenté sous l’effet de 3 facteurs. Le premier concerne l’accroissement des températures suivi de l’évolution de l’environnement biologique et chimique. Enfin la modification de la fréquence et de l’intensité de certains aléas climatiques constitue le dernier facteur.
Changement climatique : le cas de la hausse des températures
Nous nous sommes volontairement restreints au facteur le plus visible (élévation des températures), le rapport initial étant beaucoup plus complet. Nous sommes en mesure d’illustrer les conséquences grâce à des situation de travail auxquelles nous avons été confrontés lors de nos interventions en entreprise.
Les effets physiologiques sont les plus faciles à identifier. Il s’agit de la déshydratation, du coup de chaleur pour lesquels le taux d’humidité est un facteur aggravant. Des dysfonctionnements cardiopulmonaires peuvent aussi apparaitre sous l’effet de la pollution en milieu urbain. Les effets cognitifs apparaissent également avec une perte de vigilance et une difficulté à se concentrer. En réalité, c’est la pénibilité au travail qui est accrue.
Les risques psychosociaux (RPS) peuvent survenir sous l’effet de tensions sociales sur le lieu de travail, induites par de fortes chaleurs. On parle ici de relations clientèle ou fournisseurs agressives. La récupération difficile entre deux séances de travail ou l’insatisfaction liée aux modifications d’horaires sont également des causes potentielles susceptibles d’accroitre les RPS.
Sur le plan technique le risque incendie est accru par la pénurie d’eau et tout travail à feu nu en extérieur peut déclencher très rapidement un incendie. Le changement des températures entraine aussi une aggravation du risque chimique avec une évaporation accrue et une transformation des produits.
En toute logique les risques liés aux facteurs environnementaux devraient figurer sur le document unique (DUERP). L’impact différencié de la hausse des températures entre les hommes et les femmes et les catégories socioprofessionnelles doit être abordé. Enfin l’actualisation du DUERP se nourrit de l’analyse détaillée des accidents passés. Il s’agit de collecter toutes les informations relatives aux conditions d’environnement au moment des faits (météo, état des sols, qualité de l’air…).
Adapter le travail face aux fortes chaleurs
Les solutions proposées tiennent compte des engagements en faveur de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Évoquer une installation de climatiseurs pour abaisser la température ne possède aucun sens !
Chaque corps de métier puisera les idées les plus pertinentes pour son activité. En premier lieu limitez la charge physique de travail dès 35°C et mettez en place une surveillance individuelle du rythme cardiaque. Certains professionnels travaillent avec un indice Astreinte Thermique Prévisible (ATP) pour déclencher des mesures de protection. L’emploi d’équipements de protection individuel (EPI) adaptés aux fortes chaleurs favorise des situations de travail sécurisées. Des moyens de protection systématiques (extincteurs en extérieur, points d’eau…) doivent être anticipés.
Les mesures peuvent aboutir à un arrêt de chantier pour intempérie. Toutefois l’aménagement des plages horaires de travail (posté du matin avec une pause réduite en milieu de matinée) est une solution efficace. Le rythme de travail (modification de la fréquence des récupérations), création de zones ombragées pour la récupération sont aussi efficaces. Le télétravail pour ceux qui peuvent y prétendre mérite d’être étudié en parallèle du plan de mobilité de l’entreprise. Cela réduit le risque routier professionnel notamment lorsque les comportements des conducteurs sont altérés par les fortes chaleurs.
La conception ou la rénovation du bâti est une piste sous exploitée. Une entreprise propose ainsi de repeindre les toits de hangars en blanc avec des résultats significatifs sur la température au contact.
Quel changement pour les risques existants ?
Le changement climatique aggrave les risques professionnels des catégories déjà fortement exposées. On peut citer le secteur du BTP, le social et le médico-social pour lesquels les chiffres de l’accidentologie au travail ne sont pas satisfaisants. L’alerte lancée par le rapport du CESE prend ainsi tout son sens. Il y a urgence à instaurer un dialogue social sur la pénibilité supplémentaire consécutive au changement climatique.

